[PI-Revolución] Revue Révolution n°2 / en français

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  • De l’urgence sanitaire à l’urgence guerrière
  • Inflation et luttes prolétariennes (première partie)
  • Revolución y contrarrevolución en la región española, años 30 (Segunda parte): La contrarrevolución
  • Anexo: Revolución y contrarrevolución en la región española, años 30 (Primera parte)

De l’urgence sanitaire à l’urgence guerrière

Changement de décor

La crise de valorisation du capitalisme mondial avance comme une locomotive, renforçant jour après jour les contradictions sociales. Bien que dans certains pays, comme la Chine, la politique du « Zéro Covid » continue à être déployée, et qu’il soit difficile de prédire les mouvements concrets que l’avenir nous réserve à court terme, la voie de l’urgence sanitaire semble être épuisée. Comme nous le disions dans notre précédente revue1 :

« Pour le capital, toutes ces mesures s’avèrent insuffisantes. Bien que le déclenchement de la pandémie ait éliminé les entreprises et les moyens de production obsolètes avec un taux de dévalorisation insoutenable, tout en augmentant la centralisation du capital, le fait est que, d’autre part, l’économie mondiale exige la destruction de larges pans de capital qui ne font qu’accélérer la dévalorisation générale. Ce processus implique non seulement un grand nettoyage du capital fixe et circulant, qui obstrue les processus cycliques d’accumulation, mais aussi du capital variable, c’est-à-dire de la force de travail. »

En effet, le capital exige une étape supplémentaire dans sa course effrénée vers l’accumulation infinie. Il murmure à tous les États l’impérieuse nécessité de se débarrasser des énormes masses de capital qui aujourd’hui, loin de contribuer au processus cyclique de valorisation, le mettent en grave difficulté pour son développement. Il appelle à l’épuration de l’accumulation superflue de force de travail qui ne participe pas à la réalisation du profit et ne peut venir grossir les rangs d’une armée de réserve pléthorique. Il exhorte à ce que les niveaux d’exploitation du prolétariat soient augmentés par tous les moyens possibles. Il exige une plus grande concentration des différentes particules de capital afin d’optimiser leur mouvement, etc. L’état d’urgence sanitaire décrété sous couvert de Covid-19 a permis d’assumer, à un certain niveau, ces exigences, générant à son tour une augmentation effrénée du recours à la planche à billets et la paralysie des fortes luttes internationales initiées à la fin de l’année 2020. Mais la guerre contre le virus a montré ses limites et la bourgeoisie s’est retrouvée aux prises avec les problèmes structurels qui la tenaillent.

Avec l’avancée des chars de l’État russe sur le territoire ukrainien, une « nouvelle » feuille de route a été ouverte. Elle invitait tous les États à enfiler le costume de la guerre. Personne n’a refusé l’invitation.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, toute référence à l’urgence sanitaire disparaît pour faire place à une nouvelle urgence : la guerre. Les nouvelles du redoutable Covid-19 disparaissent comme par enchantement pour laisser place à la propagande belliciste. Les tambours de la guerre résonnent à nouveau dans la vieille Europe, annonçant une nouvelle escalade dans le conflit impérialiste. La menace d’une « troisième conflagration mondiale » a inondé les canaux d’information du capital et chaque constellation bourgeoise a érigé son propre discours pour s’installer dans la navette. Le diable Poutine, l’agression contre l’Ukraine, la menace face à l’avancée de l’OTAN ou la dénazification de l’Ukraine sont autant de leurres de propagande qui ont été lancés, d’un côté comme de l’autre, pour favoriser l’adhésion aux hostilités.

Alors que les mass médias inondent le monde d’images et d’informations sur la guerre en Ukraine, sélectionnant soigneusement ce qui convient à chaque camp, un nouveau massacre déchire le corps du prolétariat et s’ajoute à l’escalade des carnages et des catastrophes qui ravagent la planète. Les larmes de crocodile qui émanent des discours des différents dirigeants bourgeois ne peuvent cacher la joie que ce nouveau massacre représente pour l’économie. Non pas tant à cause du fleuve de sang provenant des milliers de morts de notre classe, ce qui n’est pour nos bourreaux qu’une petite escarmouche, mais bien à cause de la perspective de guerre généralisée qui se profile à l’horizon.

D’autre part, ce changement de décor implique un tournant dans le bombardement médiatique nous expliquant la cause de certains problèmes qui aggravent considérablement les conditions de survie de l’humanité. La hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, les problèmes d’approvisionnement, etc. ont un nouveau bouc émissaire. Ils ne sont plus imputés à la pandémie mais au conflit entre l’Ukraine et la Russie. Tout a changé en un clin d’œil.

La guerre en Ukraine

On ne peut comprendre l’histoire du capitalisme sans la lier au développement de la guerre. La guerre est inhérente et permanente, elle est le mode de vie d’une société qui se développe sur la base d’une concurrence acharnée de tous contre tous. Le processus cyclique de l’accumulation capitaliste implique que chaque atome de valeur ne puisse assurer sa conservation qu’à condition d’assumer une reproduction sans cesse élargie de son propre être. La conquête, la subsomption de toute ressource planétaire valorisable, la lutte entre rivaux sur le marché, l’unité conjoncturelle de particules de capital pour faire face à la concurrence (sociétés actionnaires, États ou constellations étatiques) ou le terrorisme contre toute forme de remise en cause sociale sont quelques-unes des formes élémentaires de développement de la société marchande généralisée.

Cela explique pourquoi il y a de plus en plus d’armées, de guerres, de polices, de prisons de toutes sortes, plus de destructions et de désastres. En ce sens, la publicité fait au conflit russo-ukrainien n’est pas étonnante contrairement au relatif silence au sujet des dizaines d’autres conflits en cours. Les guerres en Syrie, au Soudan, au Yémen, en Arménie et Azerbaïdjan, au Sahara occidental, en Éthiopie, au Mozambique, en Libye, au Mali, en République centrafricaine, au Pakistan, en Somalie et au Kenya, en Afghanistan, en Palestine, etc. méritent peu d’attention de la part des médias, si ce n’est un espace résiduel pour un épisode anecdotique occasionnel. Toutes ces guerres localisées de plus en plus fréquentes, dont la confrontation Russie-Ukraine constitue un nouveau maillon, ne sont pas simplement des différends limités à certaines nations ou provoqués par des États particuliers. L’affrontement sur le sol ukrainien lui-même ne s’explique pas par l’invasion d’un pays agresseur et la riposte de la nation agressée. Il ne s’agit pas non plus d’une simple question de dirigeants gouvernementaux ou d’autres motifs qui soulignent les singularités historiques supposées de ces États, c’est la vision nationale étriquée qui réduit les événements dans ce sens. Partir de la totalité capitaliste, pour élever le regard au-dessus du mur des frontières nationales, permet de rompre avec cette vision mystificatrice, en révélant cette chaîne de conflits militaires comme des épisodes de la guerre mondiale du capital, qui se manifeste ici et là, prenant des formes plus ou moins généralisées selon les besoins de la valorisation.

C’est pourquoi, selon nous, parler de la première et de la deuxième guerre mondiale n’a pas de sens, même s’il s’agit de moments décisifs dans l’affrontement impérialiste du capital mondial. La guerre dans cette société est toujours mondiale, même si elle est plus ou moins généralisée, même si elle est reproduite dans une ou plusieurs zones. Alors que l’on parle de paix dans certains endroits, il y a des offensives guerrières dans d’autres. Ce n’est pas la participation ou la non-participation formelle d’un plus ou moins grand nombre d’États ou l’étendue plus ou moins grande de la surface détruite qui confère aux conflits militaires leur caractère mondial. C’est la participation sans équivoque de l’ensemble du capital international et de ses différentes particules, sous une forme ou une autre, qui leur donne ce caractère. Seule une conception nationale, et donc totalement limitée, du capital peut construire une fable qui en isole certaines fractions de la reproduction globale que développe la guerre.

On voit comment certains États peuvent se permettre de gérer la paix sur leur territoire à condition de récolter ailleurs les fruits des carnages impérialistes, et/ou grâce aux conditions de reproduction qu’ils ont obtenues lors de conflits antérieurs. Sous d’autres latitudes, les sifflements de missiles et les explosions sont un compromis nécessaire au développement de la valeur. C’est un fait que chaque petit morceau de capital doit son existence, ainsi que sa capacité à circuler sur le marché, autant aux baïonnettes du passé qu’aux missiles d’aujourd’hui.

Il résulte de notre exposé que le problème n’est pas à rechercher dans les décisions particulières d’une fraction de la bourgeoisie, dans l’impérialisme ou le militarisme de certains États, mais dans le mode de vie même du capital qui amène l’ensemble de la classe dirigeante à faire du monde un champ de bataille. C’est pourquoi, du point de vue du communisme, l’analyse des motifs particuliers qui conduisent une fraction de la classe dirigeante ou un État à participer à une guerre est un aspect tout à fait secondaire. Ce qui est décisif, ce n’est pas de montrer que l’État russe va au combat pour s’emparer d’une zone stratégique dans sa confrontation commerciale, pour mettre la main sur les richesses et les capitaux de ce territoire, pour dynamiser son marché, ou toute autre question qui apparaît décisive à la conscience de cette classe sociale, et qui est la forme phénoménale que prend la tendance immanente de la production capitaliste à la destruction guerrière. Ces questions sont vraiment importantes pour la bourgeoisie prise dans sa course à la concurrence, comme le démontre toute la montagne d’analyses journalistiques existantes sur les causes de la lutte militaire en Ukraine. Pour la perspective révolutionnaire, au contraire, ce qui est fondamental, c’est de saisir que la guerre est intrinsèquement imbriquée au capital lui-même. C’est pourquoi il est absurde et mensonger de détourner le problème vers des questions particulières de décisions, de dirigeants. Comme si c’était un dirigeant qui était expansionniste et non un système économique. Il est également totalement absurde de croire qu’il peut y avoir un capitalisme sans guerre, comme l’idéologie pacifiste voudrait nous le faire croire en occultant le fait que la paix est un moment de la guerre. C’est le mouvement même exercé par chaque atome de valeur et son besoin constant de se reproduire sous une forme élargie en tant que capital, qui confère un caractère belliciste et impérialiste aussi bien à la plus petite particule de capital qu’à la plus grande constellation d’États. Notre problème ne se résume pas à l’existence des Poutine, des Zelenski, des Biden, des Macron, des Assad, des Bill Gates ou des Rothschild, ce qui, bien entendu, ne les exonère nullement de leurs responsabilités. Qu’elle le veuille ou non, quoi qu’elle en pense, la bourgeoisie est obligée de développer la destruction guerrière. Le véritable sujet qui décide de tout et qui est personnifié par tous ces bourgeois, c’est le capital ; et c’est pourquoi la seule solution à toutes les guerres ne pourra jamais être la paix mais la transformation radicale de la société.

Mais pourquoi les porte-parole du capital ont-ils donné tant de publicité au conflit entre les États russe et ukrainien ? Pourquoi cette urgence guerrière ?

Dans d’autres endroits – comme en Syrie – ces blocs impérialistes ne s’affrontent-ils pas également ?

Simple eurocentrisme ? Un gigantesque butin en jeu ? Il est clair que l’eurocentrisme est implicite dans les informations et les analyses qui reposent sur l’idéologie dominante. Il est vrai aussi que les capitaux qui contrôlent le territoire ukrainien y trouvent de fantastiques atouts, mais ce ne sont pas des raisons suffisantes pour expliquer l’émergence d’une guerre planétaire dans un monde ravagé par les guerres. L’avancée des chars russes en Ukraine doit être envisagée dans une perspective plus globale pour en comprendre toute la signification. Il s’agit d’un mouvement qui représente un saut qualitatif dans la généralisation des destructions provoquées par la guerre.

La guerre à l’échelle planétaire

Si la guerre n’a fait que se naturaliser avec le développement du commerce, et s’il est désormais acquis que des dizaines de conflits se déroulent à travers le monde, il n’en est pas moins vrai qu’il y a des situations où le taux de profit exige des sauts qualitatifs et soumet une gigantesque portion de la planète à la guerre généralisée. Ce sont des moments où la dévalorisation croissante rend impossible la réalisation des cycles de reproduction du capital et appelle à une « grande purge ».

Comme nous l’avons souvent dit, la valorisation de la valeur implique de suivre une voie qui mène à la dévalorisation en augmentant constamment la composition organique du capital. Toutes les forces qui contrecarrent cette tendance (augmentation de l’exploitation, augmentation de la masse de capital, destruction/paralysie de certains secteurs de production qui pèsent sur la valorisation, injection de capital fictif…) se révèlent insuffisantes dans la phase actuelle. La croissance brutale du capital constant au détriment du capital variable, seul créateur de valeur, a atteint des niveaux insoutenables et réclame à cor et à cri que la capacité destructrice de ce système social fasse un saut qualitatif pour changer cette composition organique et initier un nouveau cycle global de reproduction capitaliste. La destruction massive du capital se dévalorisant (y compris le capital variable excédentaire, c’est-à-dire les prolétaires), la centralisation du capital, etc., sont autant d’éléments de base accompagnant le bain de sang curatif du capital.

Les mal nommées Première et Seconde Guerres Mondiales sont très représentatives de la manière dont cette société affronte sa propre contradiction de valorisation/dévalorisation à travers des destructions et des massacres gigantesques qui sont métabolisés afin d’obtenir l’énergie suffisante pour initier une nouvelle phase d’expansion. Cependant, ce recours historique à la destruction militaire a des limites insurmontables, car outre la menace du défaitisme révolutionnaire du prolétariat comme dans la guerre de 1914-1918, la phase d’expansion qu’il engendre conduit inévitablement à une autre phase de crise. De plus, chaque cycle redémarre à un niveau technique plus élevé du fait des connaissances scientifiques et techniques acquises, ce qui fait que la composition organique du capital atteint bientôt un nouveau niveau de dévalorisation, obligeant les fonctionnaires du capital à prendre de nouvelles mesures et à rebattre régulièrement les cartes de la destruction militaire.2

Par conséquent, il n’est pas surprenant que le monde soit devenu le champ de bataille permanent que nous connaissons aujourd’hui. Il n’est pas non plus surprenant que le mouvement militaire russe et la réponse de la bourgeoisie internationale reflètent le besoin du capital de porter le massacre et la destruction à un nouveau zénith afin de résoudre ses propres contradictions. Le Kremlin a fait un pas en avant en invitant le reste de ses frères de classe à assumer leurs responsabilités. La réponse de l’État ukrainien à « l’invasion russe », insoutenable sans l’aide de l’OTAN (financement, armes, fournitures, conseillers), ainsi que le déluge de propagande au sujet de la guerre dans les États membres de l’OTAN, révèlent que cette fraction de la bourgeoisie internationale ne se dérobe pas à son engagement dans la généralisation planétaire de la guerre, mais en même temps elle hâte la recherche de meilleures conditions avant de se lancer ouvertement dans la bataille.

Si la confrontation impérialiste n’a pas éclaté au niveau planétaire, non seulement aujourd’hui mais ces dernières années, c’est parce que les conditions matérielles, et surtout idéologiques, qui permettent une telle généralisation ne sont pas pleinement réunies. Bien que la dictature économique réclame depuis des années une telle généralisation, la bourgeoisie n’a pas réussi à aller au-delà des confrontations militaires localisées (bien que de plus en plus simultanées), complétées par des paquets de mesures brutales, tout ceci explosant au-dessus de notre classe. À cet égard, il existe deux facteurs fondamentaux étroitement liés sans lesquels la généralisation du conflit militaire au niveau requis n’est pas possible. Il s’agit, d’une part, de la constitution de deux camps bourgeois internationaux opposés et, d’autre part, de la polarisation de la société dans ces camps.

Si l’OTAN a une cohésion beaucoup plus forte, et le déploiement des troupes américaines en Europe depuis des années en témoigne, l’autre camp impérialiste, avec la Russie et la Chine comme forces hégémoniques, n’a pas réussi à acquérir ce niveau de cohésion et d’implication. La démarche de la Russie pourrait chercher à répondre à ce besoin, bien qu’elle n’ait pas réussi à contraindre la Chine à prendre une position claire. Entre autres raison parce que, pour l’instant, la bourgeoisie chinoise a pu entreprendre des opérations mercantiles qui lui donnent une certaine marge de manœuvre avant de se positionner dans la bataille.3

On pourrait penser que cette faiblesse de ce camps impérialiste serait un stimulant pour l’OTAN, mais il y a un autre facteur, bien plus décisif, qui rend nos oppresseurs prudents : ils n’ont pas réussi à créer un soutien suffisant parmi les prolétaires pour les entraîner jusqu’à l’anéantissement. En ce sens, la polarisation fascisme-antifascisme qui a permis les destructions et les massacres à grande échelle de 1939-1945 est une référence historique d’encadrement. Tant pour la manière dont le prolétariat a été encadré que pour le résultat, avec plus de soixante millions de morts et une destruction matérielle et planétaire sans précédent.

En ce sens, il est clair pour nous que, dans une perspective globale, la consolidation d’une polarisation internationale qui entraîne le prolétariat à s’entretuer pour les torchons putrides des nations de chaque constellation impérialiste est objectivement au cœur de « l’invasion de l’Ukraine ». La conséquence immédiate a été l’intensification mondiale de la propagande de guerre et du lavage de cerveau massif, qui a porté des fruits non négligeables, conduisant de nombreux prolétaires à reproduire les discours de leurs maîtres, répandant en certains endroits une fièvre antirusse et anti-Poutine qui contraste avec le soutien aveugle au Kremlin et à ses dirigeants dans d’autres régions.4 Sans parler des groupes se disant anarchistes ou communistes qui ont décidé de rejoindre les rangs ukrainiens ou russes et de former leur propre milice.

Cependant, l’adhésion obtenue autour de ces polarisations inter-bourgeoises semble, du moins pour l’instant, insuffisante pour mobiliser le prolétariat et généraliser la bataille impérialiste à l’échelle planétaire. La bourgeoisie n’a pas oublié la vague d’insurrections initiée en 1917 et née du défaitisme révolutionnaire qui l’a fait trembler devant le spectre du communisme. Elle n’oublie pas non plus la riche série d’expériences de conflits militaires localisés, où la riposte de notre classe a décomposé les armées en présence, engendrant des révoltes retentissantes. Le danger de voir la confrontation impérialiste se transformer en guerre de classe est un risque réel qui guette la bourgeoisie.

Dans de nombreux pays, les exploités ont non seulement échappé à cette polarisation, mais ont développé des luttes et des confrontations puissantes contre la dégradation de leurs conditions de vie. La bourgeoisie n’a pas d’autre choix que de continuer à étrangler notre classe et de tenter de repolariser ces zones, de tenter de nous sortir de notre combat et de nous amener à lutter pour d’autres intérêts que les nôtres, de détourner toute perspective révolutionnaire vers des luttes inter-bourgeoises dans lesquelles les prolétaires sont niés en tant que classe et défilent sous les bombes.

Notre classe ne peut échapper à cette perspective mortifère qu’en restant sur son propre terrain, celui de la lutte intransigeante pour ses besoins contre tout État, toute nation, toute alliance avec son ennemi historique, en répondant à toute affirmation de la boucherie impérialiste par le défaitisme révolutionnaire. L’horizon nous présente un monde où la guerre tendra à se généraliser et nous sommes convaincus que la lutte du prolétariat aussi.

Le défaitisme révolutionnaire

Partie intégrante du maintien et du développement du capitalisme, la guerre est toujours une affirmation d’un pôle, le capitalisme, et une négation de l’autre, le communisme. Depuis les préparatifs, depuis la première déclaration de guerre, depuis le premier mouvement militaire, jusqu’au massacre et à la paix qui s’ensuit de manière conjoncturelle, tout est contre notre classe, contre notre vie, contre la lutte qui tend à renverser cette société de mort, contre toute entreprise révolutionnaire. Dans chaque camp impérialiste, les morts, les mutilés, les affamés, etc., ce sont les prolétaires. Défendant des intérêts étrangers aux leurs, brandissant des slogans qui les feront crever, traînés à l’abattoir des tranchées, contraints à toutes sortes de sacrifices au front ou à l’arrière pour le bien de la nation, appelés à résister au péril de leur vie devant « l’ennemi », invités à abandonner toute revendication sous peine d’être considérés comme traîtres et fusillés, forcés d’émigrer… Bref, transformés en chair à canon, les prolétaires portent toutes les calamités dans leur peau. C’est pourquoi, du point de vue de notre classe, la guerre impérialiste est d’abord une guerre contre le prolétariat mondial. En ce sens, toute forme de soutien ou de justification à l’un des camps bourgeois en guerre revient à prendre position contre le prolétariat et à agir en faveur de sa liquidation.

Face à la guerre impérialiste, nous ne pouvons opposer que la guerre de classe, le défaitisme révolutionnaire.

« La position classique des révolutionnaires est de s’opposer de toutes leurs forces à toute guerre entre États nationaux. Et cette position ne relève pas d’une idée que nous aurions sur ce à quoi nous voudrions que le monde ressemble ; cette “idée”-là constitue plutôt le commun dénominateur des pacifistes qui au nom de la paix éternelle, finissent invariablement dans l’un ou l’autre camp de la guerre capitaliste, ratifiant en réalité leur vocation de défenseurs de “la paix des tombes”. Non, la position révolutionnaire contre la guerre provient au contraire des intérêts matériels du prolétariat, du fait que son antagonisme général au capital n’est pas une opposition à telle ou telle fraction bourgeoise selon la politique gouvernementale du moment, mais une opposition à l’ensemble de la bourgeoisie, quelle que soit la politique qu’elle mène. Notre antagonisme pratique à toute guerre entre États est la conséquence inévitable du fait que nos intérêts ne s’opposent pas aux bourgeois parce qu’ils sont “fascistes” ou “démocrates”, de droite ou de gauche, national-impérialistes ou impérialistes nationaux, mais purement et simplement parce qu’ils sont bourgeois. Notre opposition est la conséquence d’une vérité incontournable : entre exploiteur et exploité il ne peut y avoir aucune unité qui ne bénéficie pas au premier, tout front ou appui critique à un camp contre un autre bénéficie à la bourgeoisie contre le prolétariat. »5

Le conflit en Ukraine, comme hier en Syrie, ou avant en Yougoslavie ou en Irak, nous montre cette réalité. Soit nous acceptons les sacrifices exigés par la lutte impérialiste et allons directement à l’abattoir, soit nous les combattons et projetons la seule alternative possible, la révolution sociale. C’est pourquoi, face aux appâts lancés pour nous utiliser comme chair à canon, que ce soit la « résistance du peuple ukrainien à l’invasion russe », le « droit à l’autodéfense de l’Ukraine », la « lutte de la Russie contre les nazis du gouvernement ukrainien », ou la « défense russe de la République de Donetsk et de Lougansk contre les armées de Kiev », qui servent indéniablement à affirmer la guerre impérialiste, nous opposons la pratique défaitiste du prolétariat. Précisément, nous voulons terminer ce court texte en diffusant et en saluant quelques pratiques défaitistes et de fraternisation que notre classe a matérialisées contre le massacre en Ukraine-Russie. Pour ce faire, nous avons décidé de citer un long fragment du Manifeste internationaliste contre la guerre et la paix capitaliste en Ukraine, rédigé par les camarades de Třídní válka [Guerre de Classe].6

Manifeste internationaliste contre la guerre et la paix capitaliste en Ukraine…

Salut donc aux femmes prolétaires en Ukraine, tant dans la région occidentale de Transcarpathie (donc sous administration militaire ukrainienne) que dans le Donbass, dans les « provinces orientales » (donc sous administration militaire russe), qui sont descendues dans les rues pour exprimer leur mépris envers « la défense de la patrie » et réclamer le retour de leurs fils, de leurs frères, de leurs proches envoyés sur l’un quelconque des fronts pour défendre des intérêts qui ne sont pas les leurs.

Salut aux prolétaires en Ukraine qui hébergent clandestinement des soldats russes déserteurs, à leurs risques et périls car lorsqu’ils sont arrêtés, soit par les autorités militaires russes, soit par les ukrainiennes, on leur fait bien comprendre où se trouve la force légale dans ce monde immonde, quel camp et quelle patrie ils se doivent de défendre et qu’aucune fraternisation ne sera tolérée.

Salut aux prolétaires en Ukraine, qui malgré la conscription obligatoire, fuient leur incorporation dans des unités militaires par tous les moyens à leur disposition, légaux ou non, et refusent donc de se sacrifier et de servir sous les plis du torchon national ukrainien.

Salut aux soldats russes qui depuis le début des « opérations spéciales » en Ukraine fuient la guerre et ses massacres, abandonnant tanks et véhicules blindés en état de fonctionner, et cherchant leur salut dans la fuite, via des réseaux de solidarité envers les déserteurs des deux armées.

Salut aussi (bien que les informations à ce sujet soient moins sûres, guerre des communiqués et propagande militaire oblige !) aux 600 soldats du corps des Marines russes qui auraient refusé au tout début du conflit de débarquer, faisant ainsi capoter une opération amphibie dans la région d’Odessa.

Salut aussi (avec les mêmes réserves) aux soldats russes qui se seraient mutinés et auraient refusé de monter à l’assaut de Kharkov, également au tout début du conflit.

Salut aux soldats de l’armée de la « République Populaire de Donetsk », incorporés de force et envoyés sur le front de Marioupol, et qui ont refusé de continuer à combattre, de servir de « chair à canon » (selon leur propre expression !), alors qu’ils étaient cette fois envoyés défendre la « République Populaire » voisine de Lougansk.

Salut aux rebelles et aux saboteurs qui en Fédération de Russie ont déjà incendié plusieurs dizaines de bureaux de recrutement militaire et autres officines de porcs à travers tout le pays.

Salut aux cheminots en Biélorussie qui ont, à de nombreuses reprises, saboté des voies de chemin de fer indispensables pour maintenir les lignes d’approvisionnement de l’armée russe déployée en Ukraine.

Salut aux prolétaires en Ukraine qui dès les premiers bombardements ont commencé à organiser des pillages collectifs de magasins abandonnés par leurs propriétaires, de supermarchés et de centres commerciaux comme on en a signalé à Melitopol, Marioupol, Kherson et jusqu’à Kharkov, mettant ainsi en avant la satisfaction de leurs besoins élémentaires de survie envers et contre toute loi et morale qui protègent la propriété privée.

Salut à tous les prolétaires, à l’arrière du front, qui organisent des grèves et refusent d’offrir ainsi leur travail et leur sueur à l’économie de guerre, à l’économie de la paix sociale, et donc à l’économie tout court, qu’ils en soient conscients ou non.

Salut enfin aux prolétaires, cheminots, dockers… en Europe, en Grèce, en Angleterre… qui refusent de transporter du matériel militaire pour l’OTAN en direction de l’Ukraine.

Salut donc à vous tous et toutes qui refusez de vous sacrifier sur l’autel de la guerre, de la misère et de la patrie !!!

Et le jour, que nous espérons très proche, où les prolétaires descendront dans les rues de Moscou et de Kiev, et de toutes les grandes agglomérations urbaines de Russie et d’Ukraine, en scandant d’une seule voix « Poutine et Zelenski, dégagez ! », alors nous répondrons à notre tour, en nous référant aux camarades qui brandissaient dans les rues d’Argentine il y a une vingtaine d’années la consigne “¡Que se vayan todos!”, qu’ils s’en aillent tous, qu’ils dégagent absolument tous, les Biden, les Johnson, les Macron, les Scholz, les Sanchez, les von der Leyen, les Michel, les Stoltenberg… tous ces fauteurs de guerre et de misère… et tous ceux, absolument tous ceux, qui se présentent au portillon de l’alternance politique !

[…] nous prenons indéfectiblement position pour le parti du prolétariat et la défense de ses intérêts historiques et immédiats, nous prenons parti pour son action de subversion de ce monde de guerre et de misère, nous prenons parti pour le développement, la généralisation, la coordination et la centralisation des actes déjà existants de fraternisation, de désertion, de mutinerie des deux côtés du front, contre les deux belligérants, contre les deux États, contre les deux nations, contre les deux fractions locales de la bourgeoisie mondiale… Nous prenons parti pour l’extension de ces luttes et leur liaison organique comme moments d’une totalité avec toutes les luttes en cours depuis plusieurs mois, partout sous le soleil noir de la dictature sociale du Capital, que ce soit au Sri Lanka, au Pérou, en Iran, en Equateur ou en Lybie…

Inflation et luttes prolétariennes (première partie)

La hausse des prix des denrées alimentaires, comme celle de toute une série d’autres produits indispensables à la vie, et si l’on veut, des prix en général, fait partie de la réponse du marché à tous les artifices mis en œuvre ces dernières années par la bourgeoisie pour maintenir en vie les fondements décrépits de cette société. La création monétaire à partir de rien, les taux d’intérêt bas, temporairement négatifs, ainsi qu’une série d’autres inventions financières, ont permis de stabiliser la production capitaliste en échange d’une hypothèque sur son propre avenir et d’une destruction de la santé de la plus grande partie de l’humanité. Un avenir qui est apparu sans crier gare et qui vient ébranler non seulement l’univers de la finance qui soutient aujourd’hui toute la structure économique, mais aussi toute l’économie mondiale.

La vieille loi de la valeur qui tyrannise l’humanité depuis que le capital s’est emparé du monde accorde certaines dérogations, mais elles ne sont pas éternelles. Tôt ou tard, il faut payer la dette que certains croyaient infinie. La bourgeoisie l’a compris et s’empresse de faire payer la facture aux misérables. Cependant, ce ne sont pas quelques pièces qui sont en jeu, mais la peau du prolétariat mondial. La nourriture, le logement, le carburant pour le chauffage et les transports commencent à être considérés comme des produits de luxe. L’inflation est une corde au cou des esclaves modernes.

Face à l’inflation galopante, aiguillon qui invite les dépossédés à en appeler à l’expropriation généralisée, chemin qui mène à l’expropriation des expropriateurs, la bourgeoisie est contrainte d’augmenter les taux d’intérêt comme mécanisme de compensation, admettant la fin de sa politique économique antérieure. Mais elle découvre avec horreur ce que cela signifie : faire entrer dans le présent ce qu’elle voulait renvoyer à un avenir irréalisable. La hausse des taux d’intérêt annonce que la gigantesque bulle financière est sur le point d’éclater7. L’effondrement des banques Signature et Silvergate de la Silicon Valley en mars dernier, qui a déclenché la plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis – après celle de Lehman Brothers en 2008 – et celui, quelques jours plus tard, du Crédit suisse, qui a semé la panique dans l’économie mondiale, est un avertissement pour toutes les parties concernées. Si ces explosions ont pu être relativement contrôlées dans la sphère financière, la tendance à la hausse des taux d’intérêt laisse présager que les explosions futures seront de moins en moins soutenables, annonçant leur propagation dans l’économie « réelle ».

Le prolétariat est le sujet sur lequel retombent toutes les difficultés causées par cette situation. Il suffit de voir comment on nous fait actuellement crever. De faim, du travail ou des éclats d’obus. Loin, très loin est l’idéologie que la bourgeoisie a imposée dans certaines parties du monde et qui consiste à vivre dans le meilleur des mondes possibles. Le rêve américain, l’État-providence, la société de consommation, la prospérité… ont volé en éclats face à la dure réalité. Il s’agissait de miroirs colorés avec lesquels la bourgeoisie a réussi à séduire certaines parties du prolétariat. Quelques miettes misérables et toxiques ont suffi à entretenir cette hallucination, faisant croire à une partie des exploités qu’ils faisaient partie d’une classe moyenne idyllique, alors que leur vie était totalement volée pour gonfler les caisses de l’économie.

La restriction progressive de ce butin mercantile depuis de nombreuses années, peut-être depuis le début du millénaire, comme mesure pour faire face à la baisse du taux de profit, a jeté le doute sur ce mythe. La certitude est apparue récemment avec l’augmentation ininterrompue du prix des denrées alimentaires et d’autres produits de base nécessaires à la survie. La faim guette des pans de plus en plus larges de notre classe sociale partout dans le monde. Le discours sur les « pays pauvres » ou le malheur des marginaux, étiquettes qui accompagnaient le produit le plus authentique et le plus germinal de cette société, la faim, ne peut plus être soutenu. La dépossession absolue à tous égards a toujours été le dénominateur commun de la plus grande partie de l’humanité soumise à la valeur, et pourtant le progrès capitaliste continue d’accroître cette pénurie à des niveaux de plus en plus calamiteux.

Si l’inflation galopante met en cause (encore plus qu’avant) la survie même de la plus grande partie de l’humanité, la hausse des taux d’intérêt amplifie le pillage des énergies vitales d’une autre grande partie du prolétariat qui se croyait propriétaire et qui retrouve sa condition de dépossédé. Expulsés de maisons qu’ils ne peuvent plus payer en raison de remboursements hypothécaires de plus en plus élevés, ruinés par des dettes auprès des banques avec lesquelles ils payaient divers moyens de survie (terrains, camions, bétail, etc.), etc. L’homogénéisation des conditions de vie misérables du prolétariat mondial ne peut plus être masquée et n’augure rien de bon pour les digues qui retiennent la contestation, comme en témoigne la vague de luttes internationales qui a débuté en 2020-2021 et qui, après une courte pause due à la déclaration de pandémie, continue aujourd’hui d’appeler à la nécessité de faire un saut qualitatif. La confluence constante des luttes dans des dizaines de pays brise la segmentation que la bourgeoisie avait pu imposer jusqu’alors. Grèves, manifestations, affrontements, émeutes et révoltes inondent la planète. L’explosif et l’éphémère cèdent la place à la persistance, avec une succession ininterrompue de pics explosifs et de pauses éphémères pour souffler. Le Pérou, l’Équateur, le Sri Lanka, la Chine, la France ou l’Iran sont quelques-uns des endroits où notre classe développe depuis quelques mois de formidables processus de confrontation au capital.

Dans ce contexte de hausse des prix alimentaires, il est de plus en plus difficile pour la bourgeoisie de présenter ces luttes comme différentes, comme le produit de circonstances liées à des problèmes particuliers dans les lieux où elles se déroulent. L’homogénéisation des conditions de vie du prolétariat nous incite non seulement à nous reconnaître comme les parias du monde, mais surtout à nous reconnaître comme une même communauté de lutte. En Iran, au Sri Lanka, en France, au Pérou, en Chine, au Kazakhstan… les slogans, les ennemis ou les injustices contre lesquels nous descendons dans la rue pour lutter, révèlent clairement que nous faisons partie de la même lutte. Ce n’est pas qu’en d’autres temps les luttes prolétariennes manquaient de ce caractère unitaire, car c’est cette qualité qui les définit, mais que le contexte antérieur permettait de mieux camoufler les intérêts réels en jeu, ce qui facilitait l’installation d’un cordon sanitaire d’isolement qui améliorait les possibilités d’encadrement, d’idéologisation, de démembrement, de repolarisation inter-bourgeoise, de répression, d’épuisement, etc.

Tout cela est beaucoup plus difficile à imposer aujourd’hui. Cela ne signifie pas, bien sûr, que l’isolement soit rompu, que notre classe affirme explicitement son caractère unitaire et se reconnaisse comme prolétaire, ou que la bourgeoisie se trouve dans l’incapacité de nous affronter paquet par paquet. Nous affirmons simplement que la lutte actuelle pour les conditions matérielles de vie a pris un niveau d’extension et de confluence qui révèle plus clairement sa nature organique, remettant en cause les limites qui emprisonnaient nos luttes.

Néanmoins, la bourgeoisie ne cessera d’insister sur les mêmes formules d’endiguement. Là où la charité et les clopinettes distribuées ne suffisent plus à arrêter les luttes, le bâton fonctionne à plein régime. Il en va de même pour les tentatives de circonscrire les luttes par le biais de la sectorialisation et de la particularisation de celles-ci. Une des formes contre-insurrectionnelles par excellence est l’apologie de leurs faiblesses. Nous en avons fait l’expérience en France lorsqu’ils ont tenté de réduire le mouvement du prolétariat à la défense syndicale des retraites ; en Iran, à la lutte des femmes pour leurs droits démocratiques ; en Chine, au plaidoyer pour les libertés politiques ; au Pérou, à la lutte entre les alternatives bourgeoises, etc.

Il est vrai que tout cela a existé dans chacun des épisodes mentionnés, mais comme une limite à notre lutte et une force d’encadrement pour notre ennemi. Le faux est un moment du vrai. C’est pourquoi notre ennemi met tout en œuvre pour transformer le vrai en un moment du faux, en essayant de transformer en force hégémonique de notre mouvement ce qui peut être intégré et phagocyté par l’État. Lorsqu’il y parvient, notre mouvement s’oriente dans une direction étrangère à nos besoins et à nos intérêts, affaiblissant son processus d’autonomisation et s’enfermant dans les limites étroites de la société bourgeoise. Dans tous ces cas, la réforme, la canalisation vers une alternative sociale-démocrate, les changements formels dans l’État, les assemblées constituantes, etc., finissent par être imposés. Pris dans la toile des idéologies et des forces de notre ennemi, notre classe perd toute détermination autonome, se retire et/ou accepte certains changements qui, en réalité, laissent tout en l’état. [NdT : et même à l’État, pourrions-nous dire !]

En même temps, ce processus contre-insurrectionnel favorise la diffusion d’une vision internationale qui empêche la reconnaissance de nos propres luttes en les assimilant aux bannières brandies par notre ennemi. Il parvient à déformer notre mouvement aux yeux des prolétaires qui se lèvent sous d’autres latitudes, en tissant des séparations.

Cependant, comme nous l’avons dit au début, l’avenir de plus en plus catastrophique que le capital offre inévitablement, signifie que toutes ces tentatives de la bourgeoisie d’affronter notre lutte et de la détruire, de l’isoler et de la phagocyter, sont éphémères et inconsistantes. Là où la lutte semble s’être calmée, elle refait surface avec une force renouvelée en peu de temps. Regardez l’Iran ou la France, pour ne citer que quelques exemples, et la continuité constante de la lutte. Le retrait de la rue est momentané, et à la moindre occasion, nous la reprenons. La conjoncture rend la paix sociale insoutenable, car la société marchande n’a rien d’autre à nous offrir que l’intensification de notre misère partout. C’est pourquoi notre classe est poussée à se battre, quoi qu’en pense tel ou tel protagoniste, ou l’ensemble de ceux qui se battent. Il ne s’agit plus d’explosions sociales éphémères en un lieu donné, comme c’était le cas depuis la défaite de la vague de luttes des années 60 et 70. Non, la porte a été ouverte à une nouvelle phase de lutte permanente au niveau international. C’est ce que confirment les manifestations généralisées qui ont eu lieu un peu partout ces dernières années.8

La situation actuelle, ainsi que l’avenir immédiat qui nous attend, excluent toute stabilisation de la paix sociale, tant dans l’espace que dans le temps. Le prolétariat sera contraint de descendre de plus en plus dans la rue partout dans le monde et de se rappeler qu’il s’agit là de sa véritable force et de la seule possibilité de contrer le rouleau compresseur capitaliste. Le présent et l’avenir de cette société signifient davantage de catastrophes pour la planète et la vie qu’elle abrite. Mais cela signifie aussi plus de colère, plus de combat, plus d’occupations de rues et de quartiers pour affronter l’enfer capitaliste.

Le renforcement de la guerre de classe au niveau mondial est une réalité palpable. Mais pour que notre classe triomphe et envoie cette société et tous ses fondements (classes sociales, État, capital, travail…) dans les poubelles de l’histoire, il ne suffit pas de descendre dans la rue, il ne suffit pas que notre communauté de lutte descende dans la rue accompagnée du feu guérisseur. Il faut que, comme l’ont toujours dit les révolutionnaires, le prolétariat se constitue en classe et donc en parti. Pour cela, il est indispensable d’améliorer notre organisation à tous les niveaux, de nous réapproprier notre propre histoire, notre programme révolutionnaire, de reconnaître tous nos ennemis, surtout ceux qui évoluent dans nos rangs, de générer des minorités révolutionnaires qui ne soient pas prêtes à se compromettre, d’assumer toute notre dimension historique et mondiale. Imposer la dictature de nos besoins contre l’économie, créer un point de rupture sans retour, une fracture qui effondre le rapport social capitaliste et tous ses fondements, élevant sur ses ruines une société sans classe, sans argent et sans État. C’est une tâche titanesque, mais il n’y a pas d’autre alternative pour l’humanité.

Traduction française : Les Amis de la Guerre de Classe / Los Amigos de la Guerra de Clases

1 NdT : pour le moment uniquement disponible en espagnol.

2 C’est précisément ce cycle en spirale qui conduit des camarades à affirmer que les moyens de guerre utilisés par la bourgeoisie pour assainir ses cycles de valorisation sont totalement épuisés. Même si l’on considère que cette affirmation n’est pas correcte, il n’en reste pas moins que, même si c’était le cas, la bourgeoisie ne cesserait pas d’utiliser ces moyens car ce sont eux qui déterminent le cycle de reproduction.

3 La monstrueuse infrastructure internationale en cours de développement (appelée nouvelle route de la soie) comprenant des routes, des ports, des ponts, des usines, etc., qui sont construits dans des dizaines de pays, et qui permet à la Chine de créer ses propres voies de circulation des marchandises face à la concurrence, en constitue un bon exemple.

4 Bien sûr, le croque-mitaine du fascisme a été utilisé pour la énième fois, manié curieusement par les deux camps, chacun présentant son adversaire comme la réincarnation de l’Allemagne nazie, ce qui a conduit à une perte de crédibilité de ce piège.

5 GCI, revue Communisme n°44 : « Invariance de la position des révolutionnaires face à la guerre – La signification du défaitisme révolutionnaire ».

6 Ce manifeste, ainsi que le reste des documents qu’ils ont publiés en plusieurs langues, peut être consulté sur le blog de ces camarades : https://www.autistici.org/tridnivalka/.

7 Les taux d’intérêt bas, voire négatifs, se sont consolidés depuis la crise de 2008. En mars 2022, la Réserve Fédérale les a timidement relevés de 0% à 0,25%. Dans les mois qui ont suivi, les hausses de taux se sont succédé jusqu’à atteindre 5% à l’heure où nous écrivons ces lignes en mai 2023. En Europe, en revanche, les taux sont restés à 0% jusqu’en juillet 2022, et un an plus tard, à la clôture de ce texte, ils s’établissent à l’actuel 3,75%.

8 Les premiers signes de ces changements dans le cycle de la lutte des classes sont peut-être apparus à la fin des années 2010, avec les luttes internationales contre les premières grandes augmentations mondiales des prix des denrées alimentaires du nouveau millénaire.

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