/ Español / English / Français / PDF /
Nous avons reçu, nous traduisons et publions (texte à débattre)

/ Guerre de Classe / Vous pouvez lire ci-dessous la contribution des camarades de Proletarios Hartos de Serlo [PHS] [« Des Prolétaires Qui En Ont Marre de l’Être »] de la région équatorienne à la discussion sur le défaitisme révolutionnaire. Bien qu’il y ait des points que nous aimerions développer davantage ou que nous désapprouvons, nous trouvons le texte très inspirant et il fournit un bon matériel sur la manière de développer la discussion sur le défaitisme révolutionnaire et toutes ses conséquences pratiques.
L’un des points importants du texte est la discussion sur l’invariance du défaitisme révolutionnaire. Nous voudrions préciser que si nous parlons de « l’invariance » du défaitisme révolutionnaire, c’est avant tout pour opposer cette position au révisionnisme afin de souligner la continuité et la détermination de la lutte prolétarienne. Nous assistons à une nouvelle vague de ce révisionnisme représenté par diverses sectes de la social-démocratie (léninistes, « anarchistes », etc.) en ce qui concerne la position contre la guerre. En se basant sur une réinterprétation des fondements de la guerre capitaliste, sur la prétendue réalité différente d’une région particulière, sur une « nature différente » de l’État bourgeois d’Ukraine ou de Palestine, ces groupes appellent par conséquent à une lutte prolétarienne différente et à une pratique, des objectifs, des intérêts, des tactiques différents… Ils tentent de rendre le défaitisme révolutionnaire conditionnel, applicable dans certaines situations et pas dans d’autres, une position qui serait selon eux à discuter en fonction des circonstances.
Alors oui, c’est en opposition à de telles positions que nous affirmons que le défaitisme révolutionnaire est une position « invariante » du prolétariat contre la guerre, non pas parce que « la gauche communiste historique le dit » mais parce qu’il a toujours été la seule réaction possible de notre classe au massacre bourgeois, parce que c’est ce que nous avons appris de la pratique historique du prolétariat.
Soulignons également que pour nous, le défaitisme révolutionnaire est « invariant » quant au contenu, mais pas quant à ses formes, ses actions concrètes, ses méthodes et ses tactiques, car celles-ci dépendent évidemment des différentes conditions matérielles du prolétariat dans telle ou telle guerre bourgeoise, dans telle ou telle situation concrète.
Cependant, nous sommes d’accord avec les camarades de PHS pour dire que l’idéologie de « l’invariance », telle qu’elle a été mise en avant principalement par l’auto-proclamée« gauche communiste », n’a pas grand-chose en commun avec le matérialisme dialectique. Le programme communiste n’a pas été écrit une fois pour toutes par quelques chefs de parti « géniaux » qui apporteraient la conscience au prolétariat (toujours de l’extérieur, cf. Kautsky, Lénine). Au contraire, il est le résultat d’une synthèse, d’une abstraction et d’une généralisation de la pratique du prolétariat, de sa lutte contre l’exploitation. Et s’il en est ainsi, il continue à être développé, clarifié, formulé théoriquement et pratiquement.
Pour nous, le défaitisme révolutionnaire est fondé sur le fait que le prolétariat n’a pas de patrie et cette consigne est la thèse essentielle et immuable du mouvement communiste déterminant toutes les directions pratiques possibles. Ce fait n’a pas été inventé par un théoricien « prodigieux », ce n’est pas quelque chose d’extérieur à notre classe, que nous devrions faire « comprendre », que nous devrions « enseigner » au prolétariat, parce qu’il exprime la réalité, la pratique du prolétariat et c’était le cas avant même qu’il ne soit formellement exprimé, théoriquement élaboré par les militants communistes.
Le prolétariat est un être historique qui se définit par sa pratique en opposition aux nations bourgeoises, aux États (à L’État !) et à l’ensemble du mode de production bourgeois. Son existence même est en opposition avec les nations et les États. Son existence même contient en germe l’abolition de toutes les nationalités, de toutes les frontières et de tous les États. Le prolétariat révolutionnaire existe en tant que négation du capital, en tant que son fossoyeur et toutes ses tâches programmatiques sont contenues négativement dans le capital lui-même.
En résistant aux différentes tentatives bourgeoises de l’entraîner dans les massacres de la guerre, en refusant d’être transformé en chair à canon, en luttant contre les sacrifices de l’économie de guerre, le prolétariat, s’il agit pour ses intérêts réels et non pour les intérêts de la bourgeoisie, a toujours exprimé des positions défaitistes révolutionnaires, sans même savoir qu’elles étaient théoriquement développées par différents militants et groupes.
Pour nous, ce n’est donc pas telle ou telle théorie qui confirme le défaitisme révolutionnaire comme la juste et unique réponse du prolétariat à toute guerre bourgeoise. Au contraire, en tant que communistes, nous tirons la leçon du défaitisme révolutionnaire de la pratique prolétarienne. Et cette leçon, notre compréhension de la manifestation pratique de cette lutte, nos tentatives d’abstraire et de généraliser les expressions concrètes de cette lutte et de les placer dans le cadre du projet révolutionnaire de notre classe, ne sont nécessairement jamais parfaites, jamais complètes, et il en sera ainsi jusqu’à la réalisation de la révolution.
En d’autres termes, l’antagonisme entre capitalisme et communisme est « invariant », il est permanent. Le capital est une réalité mondiale, le communisme est un mouvement universel, et l’internationalisme est un élément décisif dans la pratique du prolétariat. Nos tentatives d’expression théorique sont nécessairement imparfaites et inachevées, confuses ou parfois simplement erronées. Notre tâche est donc de les clarifier, de les développer dans le but de se diriger vers la transformation de la guerre bourgeoise en guerre de classe, vers la victoire du communisme, la construction de la communauté humaine. Telle est la contradiction entre le programme « invariant » et les thèses théoriques en constante évolution des communistes.
Cela nous amène à la question posée par les camarades de PHS sur le rôle des minorités révolutionnaires, sur ce que nous pouvons et ce que nous devons faire dans la situation actuelle pour soutenir le développement du défaitisme révolutionnaire. Nous sommes en effet d’accord avec le texte qu’il s’agit d’une question cruciale que nous devons continuer à discuter et à développer, malgré toutes les difficultés que nous avons traversées, au sein de notre communauté de lutte, avec les prolétaires radicaux en rupture avec l’idéologie capitaliste de la paix et de la guerre bourgeoises.
GdC.
/ PDF /
Réflexions (auto-)critiques sur le défaitisme révolutionnaire aujourd’hui
Source en espagnol : https://proletariosrevolucionarios.blogspot.com/2024/07/reflexiones-autocriticas-sobre-el.html
Présentation
Nous avons décidé de publier ce texte inédit pour deux raisons. 1) Parce que la Semaine d’action de Prague et sa liste de diffusion, à laquelle nous l’avons envoyé pour la première fois il y a deux mois (dernières semaines de mai 2024), sont déjà derrière nous.1 Et 2) parce qu’il a reçu quelques commentaires critiques de camarades d’autres régions avec leur réponse respective de notre part par correspondance ; c’est-à-dire qu’il a généré un débat internationaliste (toujours en cours) sur le défaitisme révolutionnaire autour de la Palestine et de l’Ukraine, qui, nous l’espérons, aidera aujourd’hui les prolétaires révolutionnaires partout et, à son tour, recevra à l’avenir d’autres contributions. Il convient d’ajouter que, s’agissant d’un débat en cours, il s’agit encore d’un matériel semi-fini.
D’autre part, les calomnies qui, sous le prétexte de ces réflexions critiques, ont été lancées contre nous par quelques autres individus méprisables qui se réclament de la gauche communiste, n’ont pas leur place dans ce débat, par conséquent nous les mentionnons séparément pour les différencier et les éloigner de celui-ci. Bien que nous soyons en faveur du débat comme outil de clarification et d’avancement de la praxis révolutionnaire, nous sommes contre la calomnie comme pratique contre-révolutionnaire, d’où qu’elle vienne.
Les deux se déroulent dans des conditions matérielles d’existence et de luttes de classes avec plus de différences que de continuités par rapport à celles d’il y a un siècle, principalement en raison du haut degré de développement des forces productives/destructrices du capitalisme, de l’approfondissement de la subsomption réelle du travail au capital et de la crise de reproduction du rapport de classe, ainsi que d’autres facteurs non économiques importants aujourd’hui (écologiques, géographiques, historiques, politiques, nationaux, ethniques, de genre, etc.) ; un contexte historique mondial de crise catastrophique et de contre-révolution capitaliste ; une bourgeoisie mondiale en déclin mais à l’offensive et de plus en plus génocidaire (et écocidaire) ; un prolétariat mondial de plus en plus nombreux, jeune et éduqué mais dans la précarité et sur la défensive, ou plutôt vaincu, affaibli, isolé, désorganisé et désorienté en tant que classe antagoniste ; et donc un besoin de défense et, en même temps, de repenser l’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire contre la guerre et la paix capitaliste par ses minorités radicales.
Une défense et une refonte révolutionnaires sans nostalgie du passé, sans illusions et sans sectarisme – contrairement à la gauche communiste – afin qu’il ne s’agisse pas d’un dogme stérile ou d’un « Don Quichottisme », mais d’une position, d’une perspective et d’une pratique suffisamment puissantes pour résister et surmonter l’actuel rapport de forces défavorable pour le prolétariat mondial. Il est clair que ce dernier sera l’œuvre de la dynamique et du développement historique de ses propres luttes actuelles et de personne d’autre.
* * *
Sans nostalgie du passé, sans illusions et sans sectarisme, nous espérons que nos matériaux2 seront utiles à la réflexion, à la discussion et à l’action collective pour un véritable internationalisme prolétarien et un défaitisme révolutionnaire, dans le présent et dans l’avenir.
Pas de nostalgie du passé
Car, selon les camarades de Vamos Hacia La Vida (région chilienne) dans un de leurs derniers textes sur la Palestine,3 l’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire ne sont pas et ne peuvent pas être les mêmes qu’il y a un siècle, pour la simple raison que les conditions matérielles du capitalisme et de l’antagonisme des classes ne sont plus les mêmes. Dans une perspective matérialiste historique, elles ne sont pas invariantes.
Après la « Seconde Guerre mondiale », et surtout après la crise et la restructuration de 1975, le capitalisme mondial est passé à la phase de subsomption réelle ou de domination réelle du capital sur le travail et la société dans son ensemble, à l’implication réciproque du capital et du prolétariat, et le mouvement ouvrier lui-même a été déstructuré par l’automatisation et la financiarisation. Depuis lors, la relation travail/capital est en crise structurelle : la proportion de travail vivant ou de capital variable – seule source de valeur et de plus-value – diminue par rapport à la proportion de travail mort ou de capital constant – principalement la haute technologie. En conséquence, il y a baisse du taux de profit et dévalorisation. C’est le cœur matériel de la longue catastrophe capitaliste d’aujourd’hui.
Ce qui se passe, c’est que la logique du mode capitaliste de production de marchandises – produire pour produire de la valeur et accumuler pour accumuler du capital – est catastrophique : elle ne peut exister qu’au prix d’une prédation implacable de la nature et de la classe ouvrière. La catastrophe n’est pas l’exception, elle est la règle. Le progrès capitaliste est catastrophique. Son plus grand succès est son plus grand échec. Plus clairement : le développement historique du capitalisme, inséparable de l’antagonisme des classes, produit les conditions matérielles de sa propre dissolution. Dans les Grundrisse et Le Capital, Marx a prévu cette tendance systémique ou cet avenir de la société capitaliste. Et cet avenir, c’est aujourd’hui.
Par conséquent, le capitalisme d’aujourd’hui est comme un cadavre qui se promène avec des respirateurs artificiels : capital financier, guerres, trafic de drogue, pandémies, etc. Il étend et aggrave ainsi sa catastrophe. La contre-révolution capitaliste est la gestion étatique – et paraétatique – de plus en plus violente de cette catastrophe, principalement pour prévenir ou, à défaut, étouffer toute velléité de révolution prolétarienne, comme l’ont été les révoltes et insurrections jusqu’à présent au XXIe siècle. Car le capitalisme ne mourra pas et ne s’enterrera pas tout seul. Le prolétariat est le fossoyeur du capitalisme… et seulement de lui-même en tant que classe exploitée et dominée peut advenir une véritable communauté d’individus librement associés pour s’épanouir et vivre pleinement, en équilibre avec la nature.
De son côté, la majorité du prolétariat n’est plus la classe ouvrière d’usine ou le prolétariat industriel (qui est d’ailleurs « l’éternel absent » des luttes d’aujourd’hui mais qui « résoudrait tout », selon les nostalgiques de l’ouvriérisme, dont certains « communistes de gauche »), mais un prolétariat intermittent mondial dans tous les secteurs de l’économie – de l’agriculture aux services – entouré d’un prolétariat excédentaire ou surnuméraire. C’est donc l’époque de l’armée de réserve mondiale. C’est pourquoi, lorsque le prolétariat – salarié et non salarié – combat aujourd’hui l’exploitation capitaliste sous ses différentes formes, il se remet également en cause en tant que classe ; et que les révoltes de ce siècle se terminent par des luttes sans revendications, puisqu’il n’y a plus rien à revendiquer ou à améliorer dans le capitalisme, d’où la nécessité d’inventer une nouvelle société par la révolution communiste.
En effet, dans la perspective de la dialectique matérialiste, loin de faire des concessions au réalisme capitaliste (« il est plus facile de penser à la fin du monde qu’à la fin du capitalisme ») et à la social-démocratie, les conditions matérielles, la catastrophe, la contre-révolution et les luttes actuelles déterminent que la révolution communiste mondiale sans transitions ni médiations ou, plus précisément, l’abolition immédiate du capital, du travail, des classes sociales, de l’État, du marché, des frontières nationales, des guerres, etc., est plus que jamais nécessaire et possible. (En l’occurrence, immédiat ne signifie pas instantané, mais sans médiations. C’est pourquoi l’immédiateté du communisme ne doit pas être confondue avec l’immédiatisme.)
La période historique actuelle est celle de la révolution conçue comme communisation, comme dépassement du cycle de luttes actuel – l’abolition de la société de classes, en commençant par le prolétariat lui-même – et de la Commune mondiale comprise comme le réseau mondial centralisé de communes régionales et locales non étatiques et non marchandes. Des communes qui seront le résultat et la condition d’un mouvement insurrectionnel à l’échelle mondiale. La révolution communiste est le produit de l’insurrection et de la communisation qui se font à l’unisson ou elle n’est pas. Tout le reste est contre-révolution capitaliste, même si elle se fait passer pour « la révolution ».
En outre, étant donné que la catastrophe écologique globale dévaste la planète et menace sérieusement la survie de l’espèce humaine, le slogan révolutionnaire de cette époque n’est plus « le socialisme ou la barbarie » – comme l’ont formulé les révolutionnaires d’il y a un siècle – parce que le socialisme s’est avéré être une variante historique du capitalisme et parce que nous souffrons déjà de la barbarie ou de la catastrophe capitaliste jour après jour. C’est Communisme ou Extinction.
Tel est le contexte réel actuel dans lequel se développent le capitalisme, l’antagonisme des classes et, par conséquent, les actions et positions révolutionnaires du prolétariat telles que l’internationalisme et le défaitisme face à la guerre en Ukraine et en Palestine.
Pas d’illusions
Parce que nous devons être conscients qu’en raison du caractère contre-révolutionnaire du contexte historique mondial actuel, la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe révolutionnaire internationale n’est pas à l’ordre du jour aujourd’hui, de sorte que la défense des positions de l’internationalisme et du défaitisme révolutionnaire est, partout, une lutte minoritaire, à contre-courant et inefficace en termes de changement du rapport des forces sociales ; que, pour cette raison même, c’est une lutte qui implique de notre part beaucoup de courage, de force d’âme et de tempérance, ou plutôt beaucoup d’intransigeance prolétarienne, tant contre la droite du Capital (impérialisme, chauvinisme, sionisme, fascisme, bellicisme, etc.) que contre la gauche du Capital (anti-impérialisme, libération nationale, antifascisme, libéralisme, pacifisme, etc.) ; et que, malgré cela, nous ne sommes ni seuls ni dans l’erreur, camarades : c’est pourquoi des initiatives comme celle-ci existent pour construire une communauté apatride de défaitistes révolutionnaires.
En d’autres termes, le défaitisme révolutionnaire aujourd’hui n’est pas une position offensive, mais une position défensive, étant donné que dans le rapport de forces mondial, le prolétariat est sur la défensive face à l’offensive permanente de la bourgeoisie mondiale.
Pas de sectarisme
Car cela ne signifie pas s’enfermer dans une secte ou un ghetto idéologico-politique. Ce serait reproduire « par le bas » la logique mafieuse du capitalisme, comme l’ont déjà fait certaines organisations « communistes de gauche » et « anarchistes » qui, non sans raison, n’ont pas été invitées à cette rencontre, puisqu’elles ne cherchent qu’à endoctriner et à recruter des adeptes – tout comme les sectes religieuses de la « fin du monde » et de la « seconde venue de Jésus-Christ » – mais pas à tisser une communauté de lutte internationaliste qui soit historiquement opérante et pertinente.
Comme vous le dites à juste titre dans l’un de vos documents : « Nous savons que les révolutionnaires ne peuvent en aucun cas créer un mouvement anti-guerre. Ils ne peuvent pas (et ne veulent pas) apporter une quelconque conscience au prolétariat, car celle-ci ne peut résulter que des conditions matérielles dans lesquelles se trouve le prolétariat et de la lutte de notre classe contre ces conditions. »
En ce sens, nous affirmons que tôt ou tard, seule la catastrophe capitaliste elle-même et la lutte de classe mondiale en cours rendront possible la transformation de la guerre impérialiste en révolution sociale mondiale ; seul ce mouvement dialectique de la réalité actuelle produira une conjoncture révolutionnaire où nous, minorités communistes, pourrons réellement influencer l’insurrection de masse et la communisation de tout ce qui existe à travers le monde. La lutte est la voie à suivre.
Que faire ? En plus d’affuter nos armes théoriques et organisationnelles, renforcer nos réseaux de solidarité, de communication et d’agitation dans le feu des luttes concrètes actuelles des masses prolétariennes – avec leurs limites et leurs forces – afin de contribuer à produire la rupture révolutionnaire généralisée, est un élément essentiel de ce chemin.
Pourquoi ? Parce que, comme vous le dites vous-mêmes dans le document du Congrès contre la guerre (mars 2024), « les manifestations actuelles de résistance, aussi contradictoires et fragmentées soient-elles, contiennent sans aucun doute les germes d’une polarisation sociale qui peut transformer les guerres entre États en un affrontement de classes. » Parce que le prolétariat est ses luttes et qu’il est une contradiction en procès (par exemple l’Intifada en Palestine). Parce que l’action de masse est beaucoup plus importante et décisive que l’idéologie de groupe pour critiquer et surmonter une telle contradiction, ainsi que pour affronter la guerre et la paix capitalistes (par exemple, les réseaux de déserteurs à la frontière russo-ukrainienne, les actions de blocage du commerce international d’armes par les dockers, les prises de contrôle d’universités aux États-Unis et dans d’autres pays par leurs étudiants et leurs professeurs, etc.). Parce que le communisme n’est pas une idéologie, mais le mouvement réel qui subvertit les conditions existantes, même si ses protagonistes ne mentionnent pas le mot communisme – ou anarchie – et parce que, comme l’a dit Marx à juste titre, un pas en avant du mouvement réel vaut plus qu’une douzaine de programmes… et de congrès.
Enfin et surtout : pourquoi ces réflexions (auto)critiques sont-elles nécessaires ? Parce que la révolution prolétarienne soit se critique et se dépasse, soit stagne et dégénère en contre-révolution.
Fraternellement,
Proletarios Hartos de Serlo
[Des Prolétaires Qui en Ont Marre de l’Être]
Quito, 19 mai 2024
* * *
DÉBAT INTERNATIONALISTE (en cours)
Commentaire critique d’Un camarade internationaliste de la région espagnole (juin 2024)
« Comme d’habitude, ils prennent pour du défaitisme ce qui n’en est pas et donc il peut être variant. Comment le défaitisme peut-il ne pas être invariant, c’est-à-dire la lutte contre sa propre bourgeoisie, son propre exploiteur. Comment ne pas être invariant en Palestine dans la lutte contre son propre État (l’État d’Israël), sa propre bourgeoisie (combinaison de la bourgeoisie israélienne et des sous-traitants palestiniens – lire l’ANP ou le Hamas). Comment le défaitisme ne pourrait-il pas se développer de la sorte. Son corollaire (confraternisation des armées) est confondu comme s’il était le tout, et de plus, les moments de la guerre impérialiste (guerre de front, de gendarmerie et d’occupation) et les moments qu’elle implique réciproquement dans le défaitisme ne sont pas compris. »
Commentaire critique du groupe Tridni Valka / Guerre de Classe de la région tchèque (juillet 2024)
« Nous pensons (contrairement à vous) que le défaitisme révolutionnaire en tant que pratique prolétarienne et en tant que position programmatique qui en découle est et doit être le même. Il est important de noter que l’essence de la guerre capitaliste reste la même. Quelles que soient les tentatives de persuasion des différentes idéologies, toutes les guerres sont avant tout des guerres contre le prolétariat. Par conséquent, le prolétariat n’a et n’a jamais eu qu’une seule réponse à la guerre capitaliste : le défaitisme révolutionnaire.
Nous pouvons, bien sûr, discuter des différentes formes, des différentes expressions matérielles que le défaitisme révolutionnaire prendra aujourd’hui par rapport au passé. Nous devons également prendre en compte les conditions matérielles qui déterminent le prolétariat et sa capacité à répondre aux massacres bourgeois – le niveau croissant d’aliénation et de marchandisation de tous les aspects de notre vie, le poids de la démocratie et de sa fausse communauté, les différentes expressions de la force matérielle du spectacle, etc.
Mais nous devons insister sur le fait que le défaitisme révolutionnaire et ses expressions essentielles – la lutte contre notre propre bourgeoisie, la fraternisation avec les prolétaires de l’autre côté du front, le processus de transformation de la guerre bourgeoise en guerre de classe – restent les mêmes. »
Réponse des Prolétaires Qui en Ont Marre de l’Être de la région équatorienne (juin-juillet 2024)
Nous avons décidé de publier ici une réponse commune aux deux commentaires critiques parce que, bien qu’ils soient différents dans leur forme et leur contenu, ils disent pratiquement la même chose ou pointent la même question : la validité du défaitisme révolutionnaire face à la guerre impérialiste. Et aussi, pour une question de temps et d’espace ou pour faire une synthèse.
Pour commencer et pour être clair : en général, nous sommes d’accord avec Tridni Valka pour maintenir le défaitisme révolutionnaire comme la position intransigeante ou non négociable du prolétariat contre toute guerre capitaliste et contre la défense sociale-démocrate de celle-ci (pro-Palestine et pro-Ukraine), même si elle est déguisée en « marxiste » ou en « anarchiste ». Mais cela n’empêche pas de la repenser à partir de la conception matérialiste de l’histoire elle-même, c’est-à-dire en la situant dans les conditions matérielles du capitalisme et de la lutte des classes en cours, qui sont plus que des « formes » et des « expressions » actuelles de certaines « essences », comme le dit Tridni Valka.
Nous reproduisons et publions ci-dessous notre réponse (avec quelques modifications) que nous avons envoyée à un camarade internationaliste et à Tridni Valka par correspondance :
Sur les nouvelles conditions matérielles du capitalisme, la lutte des classes, et donc sur la refonte de l’internationalisme et du défaitisme révolutionnaire
Au début de notre texte, nous avons mentionné en passant que nous avions emprunté à Vamos Hacia la Vida (de la région chilienne) l’idée selon laquelle l’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire ne sont pas invariants parce qu’ils ne sont plus et ne peuvent plus être exactement les mêmes qu’il y a un siècle. En fait, ce que proposent ces camarades de la région chilienne, c’est, littéralement, de « repenser l’internationalisme contre l’holocauste démocratique », compte tenu des multiples facteurs qui se conjuguent pour déterminer la situation actuelle en Palestine et en Israël. Nous les citons donc pour préciser ce point :
« Lorsque Marx a développé la « loi générale de l’accumulation capitaliste », il a compris la dynamique sous-jacente du capital en tant que relation sociale totale. Cependant, bien qu’il nous offre quelques modalités théoriques de manifestation de la manière dont la surpopulation relative est produite en relation avec les besoins de l’accumulation du capital, cela ne sert que de guide pour l’analyse concrète de situations spécifiques qui sont déterminées par l’histoire du capital en tant qu’histoire de la production de la relation entre les classes. La composition complexe des classes dans le territoire dominé par l’État sioniste d’Israël et son projet ethnico-nationaliste nous pose des difficultés pour penser un horizon d’émancipation communiste dans la région, étant donné que les conflits ethnico-religieux de la relation coloniale se mêlent à ceux de la dynamique d’émergence d’une population excédentaire d’origine palestinienne, ainsi qu’au phénomène d’« importation » de prolétaires en provenance d’autres pays. […]
Quant à la production du communisme aujourd’hui, par contre, nous croyons qu’elle n’est pas liée à un mouvement prolétarien formel (mouvement ouvrier international et son corollaire : le parti communiste), mais à la concaténation de luttes qui vont et viennent, d’essais et d’erreurs, de la production potentielle de relations communistes qui se matérialisent dans des luttes présentes et concrètes, et qui répondent à la dynamique de la crise séculaire du capital.
Nous pensons qu’au-delà de ce que les représentants politiques expriment idéologiquement, c’est dans le conflit lui-même qu’il faut chercher des explications et réfléchir à partir de là aux possibilités de le surmonter dans un sens communiste, sans tomber dans des abstractions réductionnistes qui nous empêchent d’analyser la réalité. En ce sens, les possibilités qu’ouvre une lutte particulière en disent plus que ce qu’elle exprime dans son immédiateté, car sa possibilité de dépassement est contenue dans sa contradiction avec le capital. Pour nous, la question n’est pas de savoir si la lutte des classes est rendue impossible par la lutte de libération nationale, mais si la lutte des classes pourrait surmonter les marges étroites de la libération nationale, car ce qui dynamise cette manifestation particulière de la lutte est la relation entre le colonialisme/capital qui produit une prolétarisation tardive et incomplète, qui façonne les relations au sein du prolétariat. En d’autres termes, nous nous demandons s’il est possible de faire converger les processus de libération du colonialisme avec la production du communisme, et quel est le rôle de l’activité prolétarienne dans ces processus. »
Et les deux paragraphes suivants sont les plus synthétiques et les plus forts de leur analyse concrète de la situation concrète et, par conséquent, de leur proposition de repenser l’internationalisme et le défaitisme révolutionnaire :
« D’autre part, non seulement l’appel de petits groupes au défaitisme révolutionnaire qui ne trouvera d’écho qu’au sein d’un spectre limité de camarades, mais l’espoir d’une unité de la classe ouvrière selon les conceptions traditionnelles du mouvement ouvrier et de ses organisations, même celles qui, à certaines périodes, ont radicalement rompu avec le réformisme et la social-démocratie, que ce soit sous la forme de conseils ouvriers ou d’organisations unitaires, sont, dans le contexte actuel, irréalisables, et même pas souhaitables. La résistance du peuple palestinien est tronquée si elle est dirigée par des bandes bourgeoises [par exemple le Hamas et l’ANP] qui obéissent aux intérêts géopolitiques des puissances capitalistes régionales [par exemple l’Iran] et à leurs idéologies réactionnaires [par exemple l’islamisme], et dans le cas de victoires militaires partielles contre l’occupation israélienne, elles ne feront qu’administrer de nouveaux massacres sous d’autres prétextes. Mais il n’est pas non plus possible de construire une unité basée sur une identité de classe conçue en fonction des périodes passées de l’histoire contradictoire du capitalisme. Cependant, ces luttes génèrent également une dynamique communautaire qui peut s’autonomiser des logiques militaristes des gangs réactionnaires et des héritiers du stalinisme [par exemple le FPLP], ce qui s’est en fait exprimé dans les révoltes contre le Hamas et, plus fortement, contre le Fatah dans diverses villes de Cisjordanie au cours des dernières années. La solidarité internationale a, elle aussi, beaucoup à dire pour saboter le génocide en cours, mais elle doit débattre de ses destinataires, de ses moyens et de ses propres positions. Aujourd’hui, dans le contexte de la crise du capital et de la faillite des principales idéologies, une multitude de positions réactionnaires semblent gagner en sympathie. L’absence de critique des fondements du capital conduit souvent à dénoncer uniquement ses effets les plus visibles et, dans le même ordre d’idées, à en désigner la responsabilité ultime dans des institutions et des individus, depuis le discours simplement antisémite des versions traditionnelles du fascisme jusqu’aux diverses conspirations qui ne sortent pas de ce moule. Le défaitisme révolutionnaire en tant que principe sera toujours la seule politique cohérente pour ceux d’entre nous qui se reconnaissent comme prolétaires, mais nous pensons que ce principe obéit à une dynamique de guerre inter-bourgeoise, ce qui n’est pas exactement ce que nous observons à Gaza. Si des intérêts capitalistes sont en cause, l’occupation historique d’Israël façonne une forme spécifique de guerre qui ne répond pas à une guerre telle que nous la connaissons, mais plutôt à l’accélération du processus de militarisation de la région, probablement comme seul moyen de soutenir les intérêts occidentaux dans l’enclave moyen-orientale, et aussi de contenir le potentiel de révolte que nous observons depuis le printemps arabe. Où en est le prolétariat palestinien et son émancipation dans cette situation ? Il est sans doute contraint de lutter contre l’occupation, parce qu’elle est dans l’immédiat la négation de sa propre reproduction. Au-delà de toutes les contradictions et de la possibilité de sa réalisation, il semble se trouver dans une impasse. […]
Il faut repenser l’internationalisme et son champ d’action. L’internationalisme doit sortir de sa position de simple soutien ou de solidarité avec certains peuples opprimés et comprendre qu’il s’agit d’une question de survie globale, dans une perspective qui prend en compte la dérive contre-insurrectionnelle et la militarisation globale au niveau étatique et paraétatique. L’internationalisme joue un rôle crucial, notamment face à la crise du capital et à la résurgence des luttes ethniques et des conflits mondiaux, comme seule perspective face à la catastrophe, mais il doit être débattu et appliqué avec la complexité qu’expriment les luttes réelles. Il ne s’agit pas de l’internationalisme du vieux mouvement ouvrier, même s’il conserve ses principes, mais d’un internationalisme capable de projeter le contenu communiste en gestation dans les batailles pour la survie d’une humanité prolétarisée qui se trouve dans une nouvelle phase critique du développement du capital. »
(Vamos Hacia la Vida, Génocide à Gaza : Repenser l’internationalisme face à l’holocauste démocratique, décembre 2023)
Comme tout le matériel de notre classe, ce texte est discutable, en particulier dans la partie où il affirme qu’Israël-Palestine « n’est pas une guerre inter-bourgeoise » et la conséquence que cela a sur le défaitisme révolutionnaire, parce qu’elle l’est et qu’elle fait également partie de la guerre impérialiste dans cette région de la planète. Ou dans la partie où il s’interroge sur la possible « confluence entre les processus de libération du colonialisme [« la résistance du peuple palestinien »] et la production du communisme », parce que la révolution communiste mondiale est antagoniste à l’anti-impérialisme/la libération nationale et qu’il n’y a pas de place pour les demi-mesures entre les deux. […]
En tout cas, l’un de ses principaux mérites est de donner un bon aperçu de la « carte » complexe sur laquelle évoluent aujourd’hui l’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire. Une « carte » qui, évidemment, n’est pas et ne sera pas la même qu’il y a un siècle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas invariante.
Pour notre part, nous profitons de la présente correspondance pour apporter quelques clarifications et précisions nécessaires. Notre texte fait cette affirmation – l’internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire ne sont pas et ne peuvent pas être les mêmes qu’il y a un siècle, pour la simple raison que les conditions matérielles du capitalisme et de l’antagonisme des classes ne sont plus les mêmes – surtout pour critiquer et dépasser trois aspects : la nostalgie, les illusions et le sectarisme de la gauche, autour du défaitisme révolutionnaire. Plus concrètement et en résumé :
I/
Critique de l’ouvriérisme de certains secteurs de la gauche communiste, car le prolétariat n’est pas la même chose que la classe ouvrière, encore plus dans la période historique actuelle du capitalisme et de la lutte des classes, caractérisée par la subsomption réelle du travail et de la société au capital, la transition mondiale vers la « quatrième révolution industrielle », la crise du rapport travail/capital et l’épuisement de la valorisation de la valeur.
La crise du travail/capital ou de la reproduction du rapport de classe se manifeste par des taux élevés de chômage, de sous-emploi, d’informalité et d’intermittence dans tous les secteurs de l’économie mondiale ; ou plutôt, par une armée de réserve et un prolétariat excédentaire ou en surplus croissant dans tous les pays, en général, et dans les périphéries du capitalisme mondial, en particulier (par exemple, la Palestine et l’Équateur).
La crise de la reproduction du rapport de classe est aggravée lorsqu’elle est juxtaposée à d’autres conditions de la totalité sociale-historique capitaliste et de la division et de la domination du prolétariat par la bourgeoisie et son État, telles que la « race » et le sexe. Ces derniers facteurs jouent également un rôle important dans la composition des luttes actuelles et donc dans leur dépassement révolutionnaire.
Le fait est que, étant donné que la seule source de valorisation de la valeur – ou de production de la plus-value – n’est pas la technologie (capital constant) mais le travail vivant ou humain (capital variable) et que le prolétariat de tous les sexes, « races », nationalités, générations, etc. est réciproquement impliqué – ou subsumé – au capital, la crise actuelle n’est pas une énième crise cyclique de surproduction et de dévalorisation due à l’augmentation de la composition organique du capital et à la baisse conséquente du taux de profit, mais une crise structurelle et durable : une crise catastrophique du système capitaliste en tant que tel. Une crise qui n’est d’ailleurs pas seulement économique mais aussi civilisationnelle.
Paradoxalement, si l’on communise cette technologie et tout ce qui existe – ce qui implique non seulement l’abolition de la propriété, mais aussi de la division sociale du travail, de la production marchande, de la loi de la valeur et du salariat – le travail humain peut être réduit au minimum pour produire toutes les « choses » nécessaires à la vie ; surtout, pour produire et avoir « du temps libre pour développer toutes les potentialités des individus » (Marx, Grundrisse).
Comme le dirait Bordiga, le capitalisme est aujourd’hui comme « un cadavre qui marche encore ». Mais s’il n’est pas mort, c’est parce que la crise actuelle est une crise historique ou de long terme (des décennies, voire des siècles). Parce que le capitalisme a la plasticité ou la capacité d’absorber les protestations contre lui et de les transformer en alternatives inoffensives en son sein. Et parce qu’il ne mourra pas de mort naturelle : seul le prolétariat révolutionnaire – qui n’est pas la même chose que la classe ouvrière – l’enterrera avec lui-même en tant que tel. Mais… le mais, c’est qu’actuellement nous sommes encore dans une période contre-révolutionnaire où le prolétariat est vaincu, affaibli et isolé en tant que sujet révolutionnaire.
Dans ces conditions, le mouvement ouvrier et, par conséquent, son programme et son identité appartiennent à un cycle historique qui a déjà été dépassé par le capitalisme lui-même et la lutte des classes au cours des dernières décennies. D’un point de vue dialectique, cela est finalement favorable au mouvement communiste, car son objectif n’est pas l’affirmation et la perpétuation du prolétariat, mais son abolition et le fait de devenir une communauté réelle et globale d’individus librement associés pour produire et reproduire leur vie en tant que telle dans des conditions totalement différentes et supérieures à celles du capitalisme. Un mouvement réel dont les conditions matérielles sont sans cesse produites par rien de moins que le capitalisme lui-même.
Oui, le capitalisme produit son propre fossoyeur ou les conditions « objectives » et « subjectives » du communisme ; mais le capitalisme produit le communisme comme la force matérielle du futur qui nie et dépasse déjà le présent. La société future agit donc déjà, « secrètement » ou souterrainement, comme une « taupe », à l’intérieur de la société présente. Si ce n’était pas le cas, la lutte révolutionnaire serait un pur « Don Quichottisme » (Marx, Grundrisse).
C’est dans ce contexte entièrement nouveau et hautement contradictoire sur le plan historique mondial que se déroulent aujourd’hui la lutte des classes en général et le défaitisme révolutionnaire en particulier. Seule la révolution communiste mondiale peut résoudre cette « contradiction en cours » (Marx, Grundrisse).
II/
Affirmation que le slogan « transformer la guerre impérialiste en guerre de classe révolutionnaire » n’est pas à l’ordre du jour dans la pratique et que, par conséquent, il peut s’agir d’un slogan vide, d’une grandiloquence ou d’une illusion, du fait que nous nous trouvons toujours dans un contexte historique mondial contre-révolutionnaire et, plus précisément, dans un contexte de défaite, de faiblesse et d’isolement du prolétariat en tant que classe révolutionnaire.
Mais il s’agit néanmoins d’une position révolutionnaire qu’il est absolument nécessaire et non négociable de maintenir et de développer en tant que partie de la résistance minoritaire à contre-courant du prolétariat internationaliste dans la conjoncture actuelle. Aujourd’hui, le défaitisme révolutionnaire est une position défensive et non offensive.
Pour être clair, il ne s’agit pas de nier, et encore moins d’abandonner, le défaitisme révolutionnaire. Il s’agit de contextualiser le défaitisme révolutionnaire d’une manière historico-matérialiste, afin qu’il ne soit ni un Don Quichottisme ni un dogme stérile, mais une position, une perspective et une pratique suffisamment puissantes pour résister et surmonter l’actuel rapport de forces défavorable au prolétariat mondial.
Considérant que le contexte actuel est à la fois celui d’une crise catastrophique et d’une contre-révolution, il s’agit sans aucun doute d’une contradiction, d’une tension et d’un défi que seule la lutte prolétarienne réelle et internationale résoudra en passant de la défensive à l’offensive.
III/
Critique du sectarisme ouvriériste et puriste de la gauche communiste à l’égard des secteurs non ouvriers et non « leftcom » du prolétariat qui, avec des limites et des contradictions, ont aujourd’hui des pratiques internationalistes et défaitistes dans le monde entier : réseau de déserteurs des deux côtés de la frontière russo-ukrainienne ; dockers qui ont boycotté le commerce des armes avec Israël ; campements de solidarité d’étudiants et d’enseignants aux États-Unis et dans d’autres pays, etc.
Comme l’ont récemment déclaré des camarades communisateurs de la région française à propos des événements récents dans cette région : « la lutte des classes n’est jamais pure et il vaut mieux que ce soit ainsi ». Pourquoi ? Parce que nous, communistes, ne sommes pas intéressés par le fait que le prolétariat s’affirme en tant que classe du travail/capital, même sous la forme d’une « autonomie prolétarienne », mais par le fait qu’il se nie et se supprime lui-même en tant que tel. Dans la composition et la dynamique des luttes actuelles, il y a un germe et une tendance en ce sens.
Contradictoire ? Oui, parce qu’elle est mêlée à l’interclassisme, nous le savons bien. Et nous savons bien aussi que le prolétariat est une contradiction en processus et qu’il est ses luttes. C’est donc uniquement dans la dynamique des luttes prolétariennes elles-mêmes que le dépassement de ces luttes peut avoir lieu, et non par « l’action et la grâce » de « la classe ouvrière » et la « conscience de classe » dirigées par « le parti d’avant-garde ». Il en va de même pour le défaitisme révolutionnaire aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il dépend de la dynamique des luttes actuelles elles-mêmes.
L’ouvriérisme – en soi obsolète – et le conscientialisme – en soi idéaliste – sont contraires à cette dialectique matérialiste et révolutionnaire.
Sur « l’invariance » et l’intransigeance des communistes internationalistes face à la guerre impérialiste et à ses défenseurs de droite comme de gauche
A quoi ou à qui notre texte se compare-t-il pour faire d’emblée une telle affirmation ?
Le défaitisme révolutionnaire n’est-il pas, en somme, la lutte du prolétariat des deux côtés de la frontière pour la défaite des deux États-nations en guerre (par exemple la Russie et l’Ukraine) – ou des deux blocs régionaux d’États – et pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe internationale et en révolution sociale mondiale, ce qui implique de lutter contre sa propre bourgeoisie et contre son propre État du début à la fin ?
Est-ce invariant ? Pourquoi ? Parce que la gauche communiste historique le dit ? Parce que les conditions matérielles spécifiques d’aujourd’hui ne sont pas déterminantes pour tous les fronts de la lutte de classe, y compris le défaitisme révolutionnaire contre la guerre capitaliste ? Et les multiples facteurs extra-économiques (géographiques, historiques, politiques, nationaux, ethniques, religieux, etc.) ne jouent-ils pas aussi un rôle important ? Ou bien croyez-vous encore que les conditions de 1914-1918 sont les mêmes que celles de 2022-2024, comme le prétendent certaines sections de la gauche communiste qui flirtent avec Lénine et lui donnent même raison ? Quelles sont les continuités, quelles sont les différences, et quelles sont les implications pour les luttes actuelles du prolétariat mondial ?
Affirmer qu’il existe des « essences invariantes » – dans ce cas, « qu’est-ce que le défaitisme révolutionnaire et ce qui le rend invariant » – n’est-ce pas contraire au matérialisme historique ? L’histoire est-elle la réalisation transcendante d’idéaux ou de principes immuables flottant dans le monde des idées et non la production immanente de conditions et de situations ou de réalités à la fois « objectives » et « subjectives » ? Le communisme est-il un programme à réaliser par un parti de cadres et non une production historique de la communauté matérielle – et spirituelle – d’individus par des millions de personnes ?
Évidemment, nos questions sont éloquentes et contiennent déjà leurs réponses respectives…
D’autre part, il est nécessaire de rappeler que nous, communistes internationalistes, sommes très clairs sur le fait que la lutte défaitiste prolétarienne est la lutte contre notre propre bourgeoisie et contre notre propre État, quel que soit son niveau de puissance impérialiste (central ou périphérique, dominant ou subordonné, agresseur ou agressé, etc.). Dans la situation concrète et actuelle, nous sommes autant contre les États bourgeois russe et israélien que contre les États bourgeois ukrainien et palestinien.
Pourquoi ? Parce que nous sommes très clairs sur le fait que chaque État est capitaliste et impérialiste ou, comme le dirait Flores Magón, une hacienda où le prolétariat est le bétail qui est toujours envoyé à l’abattoir de la guerre entre les patrons des différentes haciendas. Et, surtout, parce que nous sommes très clairs sur le fait que nous ne sommes pas des Russes, des Ukrainiens, des Israéliens, des Palestiniens, des Yéménites, des Iraniens, des Grecs, des Espagnols, des Mexicains, des Argentins, des Chiliens, des Équatoriens, etc.
C’est un ABC pour les communistes internationalistes. C’est pourquoi nous l’avons affirmé et réaffirmé, haut et fort, dans chacun de nos textes, toujours !
Toutefois, en cherchant un point de clarification et d’équilibre sur cette question clé, il convient peut-être de ne pas confondre l’invariant et l’intransigeant. L’invariant a trait à la non-variation, à la non-transformation ou au non-changement de quelque chose au cours de l’histoire, puisque l’histoire est une production, un mouvement et un changement constants. L’intransigeant, quant à lui, consiste à ne pas abandonner ou à maintenir et développer les positions révolutionnaires que le prolétariat a produites et continue de produire dans le feu de ses luttes contre la bourgeoisie et la social-démocratie. En ce sens, nous sommes effectivement intransigeants… prolétariens, communistes et intransigeants sur le plan international.
Enfin, pour poursuivre ce débat, nous laissons ouverte la question suivante : quelles sont les continuités et les différences entre la période 1914-1918 (la période « classique » du défaitisme révolutionnaire) et la période actuelle, et quelles sont les implications de ce bilan historique pour les luttes actuelles du prolétariat mondial et de ses minorités révolutionnaires ?
[…]
Traduction française : Los Amigos de la Guerra de Clases / Les Amis de la Guerre de Classe.
1 A l’origine, nous avons envoyé ce texte à la liste de diffusion de la Semaine d’action de Prague (20-26 mai 2024) le 19 mai dernier. Action dont dont nous avons publié sur notre page Facebook, fin juin 2024, un bref bilan critique de son échec de notre part, ainsi que son « rapport intermédiaire » respectif par ses participants. En résumé, notre évaluation est que, malgré son échec, la Semaine de Prague a été une expérience valable en tant que « tâtonnement » ; et, que la situation actuelle de défaite, de faiblesse, d’isolement, de désorganisation et de confusion du prolétariat mondial, due au contexte contre-révolutionnaire actuel qui prévaut encore partout, ne peut pas être surmontée par un activisme volontariste (semaines d’action, etc.) et encore moins par le biais du conférencialisme (conférences ou congrès, etc.) d’une poignée de militants marxistes et anarchistes, mais uniquement par la dynamique et le développement historique des luttes concrètes réelles du prolétariat mondial lui-même pour détruire le capitalisme et produire le communisme. Dont la centralisation de ses minorités révolutionnaires sera à la fois un produit et un facteur.
2 Outre le présent document, les documents que nous avons produit sur le défaitisme révolutionnaire et l’internationalisme prolétarien auxquels nous nous référons et que nous avons déjà publiés sont les suivants :
- “Bringing the war home”: sur les prises de contrôle d’universités aux États-Unis (mai 2024)
- Dans la section internationaliste de notre Bulletin Rupture Révolutionnaire n°1 (mai 2024), nous avons publié les textes « De Gaza à Tel Aviv et partout dans le monde, non à la guerre sauf la guerre de classe ! » et « Congrès contre la guerre / Prague / 24-26 mai 2024 » (en PDF)
- Une critique camarade de l’Affiche internationaliste 2024 de Tridni valka (janvier 2024). Ce texte, à son tour, est un fragment de notre commentaire introductif à Antagonismes toujours en devenir et actuels – Entretien avec E. Minassian sur la Palestine par Le serpent de mer (30 octobre 2023)
- Sur le défaitisme révolutionnaire et l’internationalisme prolétarien dans la guerre actuelle entre la Russie, l’Ukraine et l’OTAN (mars 2022). Texte traduit en plusieurs langues et largement diffusé auprès de certains médias internationalistes dans différentes régions du monde.
3 Voir Génocide à Gaza : repenser l’internationalisme contre l’holocauste démocratique (décembre 2023). Matériel que nous avons utilisé dans notre réponse aux commentaires critiques de nos camarades internationalistes dans d’autres régions et dont nous avons également tiré l’image pour cette publication.