A Bas Tous Les Tyrans Et Les Traîtres! Contribution à la Critique Communiste du Mouvement Prolétarien dans les Territoires Tchèques de la Monarchie Austro-Hongroise — 1914-1918

Avant-propos

« Nous considérons comme un banqueroutier de la révolution non pas celui qui tombe enveloppé dans son infortuné drapeau, mais celui qui, après coup, de sa table de travail ou du haut d’une tribune devant la foule, ne sait tirer comme leçon de ce sacrifice que quelques démagogiques phrases admiratives accompagnées d’un commentaire défaitiste dans le style de la phrase lamentable de Plekhanov après 1905 — ‘Ils n’auraient pas dû prendre les armes’… »
Amadeo Bordiga
(De la Commune à la Troisième Internationale, 1924)

Quelle vérité profonde contenue dans cette citation d’un léniniste italien contradictoire, Amadeo Bordiga (1), même par rapport au mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière en Bohême, Silésie, Moravie, Slovaquie, ainsi qu’en Ukraine carpatique, de 1917 jusqu’en 1921 ! Ce mouvement de classe qui regorge d’un désir révolutionnaire d’abolir le capitalisme et de créer une société vraiment humaine est allé aussi loin qu’il lui ait été permis par les conditions objectives et ses propres faiblesses. La contre-révolution bolchevique, qui à la fin a dévoré et a détruit toute la capacité révolutionnaire du mouvement, l’a d’un côté célébré et l’a de l’autre dépouillé de tout contenu révolutionnaire. Les Bolcheviks ont exalté ses faiblesses pour en faire des vertus et ont utilisé toute cette expérience prolétarienne comme un mythe supportant leur propre idéologie. A présent, ce mouvement est passé dans l’oubli, même pour ceux qui se considèrent comme des révolutionnaires de classe. Cela est dû au poids insistant du mythe bolchevique, mais aussi parce que les militants de classe d’alors ne se sont pas rassemblés sous tel ou tel drapeau et n’ont pas adhéré à telle ou telle idéologie correcte.

Ce que vous tenez entre vos mains est le premier d’une série de textes que nous projetons de consacrer à ce sujet. Ce texte traite de la première phase et du contexte du mouvement de classe dans les territoires tchèques de la monarchie austro-hongroise. C’est pourquoi il démarre sur le déclenchement de la guerre mondiale en 1914 qui fut accompagné de beaucoup d’expressions de résistance contre la guerre, qui vers 1917 commença à acquérir une perspective prolétarienne révolutionnaire, en s’efforçant laborieusement de la réaliser par l’action directe de notre classe jusqu’à sa défaite finale en 1921. Cependant, la première phase du mouvement se conclut vers la fin de 1918 par la première défaite temporaire du prolétariat. Et cette défaite représente aussi la fin de cette brochure.

En général, les luttes prolétariennes sur le territoire de l’ancienne Tchécoslovaquie dans les années 1917-1921 font partie intégrante de la vague révolutionnaire qui à la fin de la première guerre mondiale commença à secouer le monde, et elles sont aussi une partie importante de l’histoire de notre classe. Si aujourd’hui nous y revenons – presque cent ans plus tard – nous ne le faisons pas par besoin d’être les historiens du prolétariat. Nous sommes des militants de classe, nous sommes des communistes, et le but de tout notre effort c’est la révolution sociale. C’est pourquoi la mise à jour de l’expérience de nos frères et sœurs de classe – une expérience depuis longtemps étouffée et dévoyée par les dépositaires de l’idéologie bourgeoise (stalinienne, libérale…) – serait en soi un acte intéressant et méritant, néanmoins en tant que communistes nous nous efforçons de briser la séparation idéologique entre théorie et pratique, entre une simple énumération descriptive des luttes de classe passées et le fait de tirer des leçons pratiques pour les luttes actuelles et futures.

En d’autres termes, ce n’est pas notre but dans ce texte d’imiter l’historiographie bourgeoise et d’accumuler des faits auxquels nous attribuerions un facteur soit positif soit négatif selon une clef idéologique. Les faits ne sont importants pour nous qu’en tant que source de réappropriation – basée sur l’expérience pratique du mouvement prolétarien d’alors – de tous les moments et niveaux représentant une rupture avec le capitalisme des militants de classe de l’époque et une affirmation et un développement du programme historique de notre classe. Bien sûr, nous ne voulons pas seulement affirmer les forces du mouvement, mais aussi critiquer ses faiblesses.

Nous ne voyons pas le mouvement prolétarien révolutionnaire dans la République tchécoslovaque et avant sa fondation comme un cas isolé. C’était juste un moment d’un tout, une partie d’un mouvement prolétarien mondial. De même que le Capital est un rapport social global, le prolétariat est une classe mondiale, et le mouvement communiste qui en surgit et qui vise à la subversion du monde capitaliste est tout autant mondial. Le mouvement sur le territoire tchécoslovaque ne fut pas vraiment un des sommets de la vague révolutionnaire de l’époque. Ailleurs (surtout en Allemagne), la révolution prolétarienne alla plus loin dans certains aspects et apporta un niveau plus élevé d’éclaircissement du programme communiste historique. De même que par exemple les militants de classe qui ont mené en décembre 1920 une insurrection dans la région de Hodonín, nous sommes aussi une expression particulière d’une somme d’expériences rassemblées par le mouvement communiste durant son existence dans le temps et l’espace. C’est pourquoi nous envisageons les luttes ouvrières de 1917 jusqu’en 1921 comme une source de leçons pratiques pour le futur, mais aussi en les analysant nous leur appliquons les leçons pratiques de toutes les grandes confrontations que notre classe a endurées.

En conclusion, il est nécessaire d’ajouter que notre texte n’est pas à vrai dire complètement exhaustif, car c’est en dehors de nos capacités de fouiller et d’étudier tous les matériaux qu’il a encore été possible de trouver aujourd’hui. Cette faiblesse peut aussi s’apprécier au regard de la longueur disproportionnée de certains sous-chapitres : quelques sujets très importants prennent moins de place que d’autres, ce qui est seulement dû au fait que nous n’avons pas pu récolter plus de renseignements détaillés. C’est pourquoi le texte a besoin d’être discuté, développé et davantage approfondi. C’est pourquoi aussi nous appelons tous les militants qui comprennent la signification de la découverte programmatique de l’histoire de notre classe de s’impliquer dans le processus de développement supplémentaire de ce texte en cherchant et en étudiant de nouvelles sources qui pourraient être utiles. Ce texte n’est pas non plus un texte académique, n’attendez donc pas qu’il corresponde aux critères du scientisme bourgeois. Il est censé être une première contribution non seulement de restauration de la mémoire prolétarienne, mais aussi d’éclaircissement et d’appropriation de notre programme révolutionnaire historique. C’est pourquoi nous traitons essentiellement de l’analyse du mouvement de classe, car c’est seulement de ce mouvement que le mouvement communiste et la révolution proviennent. Nous ne sommes pas à la recherche d’une sorte d’ancêtres idéologiques qui auraient été les porteurs infaillibles et exclusifs d’une conscience et d’un programme communistes, afin de les incorporer dans une généalogie de telle ou telle famille idéologique « sacrée » (ce qui est caractéristique de tous les idéologues social-démocrates). Nous sommes à la recherche de leçons qui puissent être utilisées dans les confrontations qui attendent le prolétariat.

(1) Bordiga nous apparaît comme un léniniste contradictoire, parce que sa pratique était fortement léniniste, surtout son engagement de longue durée dans la Troisième Internationale qui démarra avec rien d’autre que sa participation à la rédaction des 21 conditions pour adhérer à l’Internationale et qui permirent l’expulsion des vrais communistes. Vers la fin de sa vie, cependant, Bordiga offrit beaucoup de réflexions théoriques intéressantes à propos du capitalisme et du communisme, mais encore une fois en parallèle à une activité pratique social-démocrate.

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